Rencontre avec Benjamin Gagnon-Chainey, récipiendaire des prestigieuses bourses Vanier et Trudeau
- l'UdeM racontée par ses étudiant.e.s
Daisy Le Corre
En 2008, tu as décidé d’entreprendre un bac en littératures de langue française après avoir obtenu un bac en physiothérapie. Quel a été le déclic?
Après avoir travaillé trois ans à temps plein en tant que physiothérapeute en soins intensifs et aigus à l’Hôtel-Dieu du CHUM, j’ai décidé de retourner aux études pour donner voix à ma passion pour les arts et les lettres. Parallèlement, je rejoignais l’équipe de l’Hôpital de réadaptation Villa Medica, à Montréal, où je développe une expertise en réadaptation auprès de gens ayant subi des AVC ou luttant contre des tumeurs cérébrales. C’est donc tout en continuant ma pratique clinique en physiothérapie que j’ai préparé mon baccalauréat en littératures, dont une année en échange à la Sorbonne, à Paris, en lettres modernes. Au cours de ces années, j’ai réalisé peu à peu la synergie existante entre les pratiques scientifique et artistique, entre les discours médicaux et littéraires.
Sur quoi portent tes recherches et pourquoi as-tu choisi cette orientation?
J’ai orienté mes recherches et mes créations vers la poétique des corps souffrants, mourants, exclus mais surtout performants : les représentations de la relation de soin et les enjeux déontologiques de la pratique médicale construits par la littérature, ouvrant sur les débats contemporains des luttes intimes et collectives face à la maladie.
Actuellement, mes travaux de recherche se penchent principalement sur la littérature d’inspiration médicale : surtout la littérature du sida et l’œuvre d’Hervé Guibert, auteur multidisciplinaire français, décédé sidéen, en 1991, au plus fort de la pandémie occidentale. Mes objectifs principaux sont d’interroger les transformations des rôles des soignants et l’évolution de l’empathie au cœur de la relation de soin, de la lutte à la maladie et de l’accompagnement vers la mort.
Dans mon projet doctoral, je mènerai des analyses comparatives entre la littérature du sida et les littératures d’inspiration médicale d’autres maladies et d’autres époques. En combinant mes vocations scientifique et littéraire, j’espère stimuler un dialogue entre les acteurs du monde hospitalier et ceux des arts et des lettres. Je crois qu’on ne peut aspirer à une pleine humanisation des soins de santé et de fin de vie si l’on n’écoute pas les voix à l’œuvre dans la littérature, qui est selon moi le bastion le plus profondément humain du langage.
Quel est ton rapport à la littérature?
J’ai un rapport très fusionnel à la littérature. La littérature est mon mode de vie, lequel garde et développe mon rapport sensible au monde. Je ne l’oriente pas seulement vers le développement d’expertises : je lis et j’écris parce que c’est un besoin vital, depuis longtemps. Je ne pourrais pas vivre pleinement sans la littérature.
Comment as-tu réagi en apprenant que tu avais obtenu la bourse Vanier et la bourse de la Fondation Pierre Elliott Trudeau? Quel a été ton premier sentiment?
En recevant le courriel annonçant la publication de l’avis de décision, j’ai ressenti une immense nervosité! J’espérais le meilleur mais je me préparais au pire, dans tous les cas je me disais que ça y était : que c’était maintenant que ma vie allait prendre un tournant. Je suis extrêmement heureux d’avoir remporté la bourse d’études supérieures du Canada Vanier et d’être l’un des 15 boursiers 2017 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.
Ces honneurs me donnent du courage pour réaliser mes projets et renforcent ma conviction profonde sur l’importance fondamentale de la littérature dans l’espace public. Tous les candidats le savent comme moi : l’énergie investie dans ces concours et les années d’études et de travail qui y mènent sont si importantes que lorsque le résultat est positif — et il ne l’a pas toujours été pour moi —, le sentiment est à la fois exaltant et apaisant. Les efforts sont récompensés et les portes construites et convoitées s’ouvrent devant soi. Il faut y croire toujours, travailler sans relâche, persévérer dans l’adversité et, surtout, aimer ce que l’on fait.
Quel rôle ont joué tes professeurs durant ton parcours universitaire?
J’ai un profond respect pour les professeurs et professeures qui m’enseignent. J’admire leur vocation pour la recherche, la création, l’avancement et la transmission des connaissances. Ce sont des modèles pour moi : ils et elles ont réussi là où j’aspire à réussir. À ce titre, ma rencontre avec l’écrivaine et professeure de littérature Catherine Mavrikakis, en 2012, à mon retour de Paris, a été capitale dans mon parcours. Elle m’a donné le courage qu’exige la littérature et la prise de parole dans la société. Elle a fait progresser mon écriture, m’a ouvert à la littérature du sida et à Hervé Guibert, et m’a soutenu face aux nombreuses embûches que j’ai rencontrées. Je suis très enthousiaste — et honoré — de poursuivre mon projet doctoral sous sa direction, en cotutelle avec la France.
Au Département de littératures de l’UdeM, j’ai aussi pu compter sur l’enseignement, les conseils et le soutien d’autres professeurs inspirants et stimulants : notamment l’écrivaine Claire Legendre, qui m’a ouvert aux imbrications créatrices de la littérature et du réel; de même que Pierre Popovic, professeur sociocriticien qui m’a grandement aidé à préciser mon discours et ma pensée sur mes objets de recherche. Je m’identifie beaucoup à mes professeurs, à leurs postures culturelles, intellectuelles et sociales. Je partage leurs préoccupations et leurs convictions sur l’importance de la littérature. C’est à travers eux et elles que s’est forgé mon désir de m’investir en littérature, de m’y construire une voix, de m’y inventer une vie.
Crédit photo : Alborz Arzpeyma
Journaliste, Daisy est une amoureuse des mots et de la vie des gens et a toujours des idées plein la tête! Indiscrétion : elle voue un culte infini à Catulle Mendès, l'auteur qui lui permet d'étudier l'androgynie dans les oeuvres décadentes du 19e siècle. Raison pour laquelle elle poursuit sa recherche en littératures à l’UdeM.